Mamary « Biton Coulibaly : Le règne des Ton djons

« Ségou Sikoro, Ségou au 4 444 Balanzans, plus un bout de Balanzan ! ». C’est l’un des éloges hérités de l’ancien royaume bambara de Ségou capitale de la 4è région du Mali. Mais si ce « bout de Balanzan » a été compris, par certains traditionalistes, sous le sens de la « trahison », d’autres  sources, par contre, lui attribuent une toute autre explication…

En réalité, ce concept de « trahison » doit plutôt être perçu dans le sens d’un « pacte secret ». Selon de nombreux narrateurs, il est apparu sous le règne de Mamary « Biton » Coulibaly. Ce monarque avait institué, dans tout le royaume, une politique très subtile visant à maintenir ses sujets sous son contrôle.

Un « bout de Balanzan »

Chaque année, le roi choisissait un citoyen au hasard (sans distinction d’âge ou de sexe) et lui faisait une confidence. Mais il prenait soin de le mettre en garde : si jamais il divulguait ce secret (que seuls lui et le roi étaient censés connaître), il perdrait la vie. Le citoyen est ainsi honoré par le choix porté sur lui ; mais sur lui plane désormais la menace d’une mort qu’il croit certaine s’il ébruitait le secret. Se taire lui assurait donc la vie sauve ; mais trahir le « secret »  entraînerait sa mort. Si bien que les administrés se méfiaient presque (du moins, sur ce plan) les uns des autres et s’abstenaient de ventiler certaines confidences entre eux. Ainsi, chacun d’eux se sentait en quelque sorte lié au roi par un pacte que les autres ignorent. Grâce à cette « convention » qui existe entre lui et celui qu’il a choisi comme confident, le roi était ainsi au courant des faits et gestes de ses sujets. En fait, aucun « confident » du roi ne pouvait connaître l’identité de son prédécesseur, encore moins savoir ce qui lui a été révélé par le monarque.

Il semble que ce système de « pacte secret » régulièrement entretenu par le monarque visait surtout à dissuader les citoyens de verser dans la calomnie et la trahison, et mieux, à les initier au sens de l’honneur et du respect de la parole donnée. Autant dire que ce mystérieux « bout de Balanzan » signifierait, non pas la trahison, mais  plutôt une initiation à la citoyenneté. Toutes choses que bien de nos anciens rois et empereurs ont cultivées tout au long de leur règne.

Près de l’arbre à karité

Selon le défunt historien, Ibrahima Baba Kaké, les limites de l’ancien royaume bambara de Ségou s’étendaient (à certains endroits) au-delà des frontières actuelles du pays et empiétaient sur les pays voisins comme la Haute Volta (actuel Burkina Faso), le Niger et la Mauritanie, et incluaient des villes comme Kankan (Guinée Conakry). Mais au fil des guerres et des conquêtes, et sous les règnes des rois successifs, ces limites frontalières s’agrandissaient  ou se rétrécissaient. Aussi  n’est-il pas surprenant que des villes ivoiriennes  comme Korogho, Man et Odienné soient  jusqu’à présent peuplées de Koné, de Diarra et de Coulibaly…

Quant aux origines de la fondation de Ségou, leurs versions diffèrent selon les narrateurs, traditionalistes et historiens. Mais la version la plus répandue et retenue est qu’il existait quatre Ségou. D’abord, Sékoro ou Ségou-Koro, le lieu de naissance du roi Mamary « Biton » Coulibaly, fondé par son père Fassinè. Puis Sébougou situé à

2 km de Sékoro, en allant vers l’actuel Ségou. Ensuite Ségou-Sikoro, l’actuel Ségou, plus exactement le quartier Somono. Enfin, à un kilomètre de Ségou-Sikoro, l’emplacement où un certain Nioulangolo Diarra construisit sa capitale. En dépit de toutes ces fluctuations géographiques dues à l’évolution du temps, Ségou a conservé son appellation originelle : Sikoro (près de l’arbre à karité).

Biton et les Tondjons

Fassinè Coulibaly est originaire de Bendougou-Niamina, dans l’actuel cercle de San. Il résidait à Senkoro, auprès des Bouaré, et chassait  en compagnie des Sacko (fondateurs de Niamina), une localité soninké. Les Sacko finirent par lui donner leur sœur, Sounou Sacko, en mariage. De cette union naquit  Mamary Biton Coulibaly, un enfant conçu alors que sa mère était âgée…de plus de cinquante ans.  Aussi, Sounou, qui ne pensait plus concevoir à cet âge, s’écria de joie après la        naissance de l’enfant : « Bi ton yen na ! ». Ainsi, d’information en désinformation, l’exclamation finit par se confondre avec le nom de ce fils « inespéré » pour devenir « Biton ».

Devenu adulte, Biton s’installa à Sikoro qui deviendra plus tard Ségou. La légende raconte qu’une nuit, Biton surprit un fils du génie de l’eau qui venait voler dans un jardin potager. Alors, le petit génie lui demanda de l’épargner, l’entraîna au fond de l’eau et lui présenta sa mère.  Reconnaissante, celle-ci promit un vaste empire à Biton et lui donna le pouvoir d’entendre les confidences les plus secrètes en déposant une goutte de lait de son sein dans chacune de ses oreilles.

A l’époque, tous les chasseurs se réunissaient  chez la mère de Biton pour boire du « dolo » (bière de mil). C’est là qu’ils finirent par fonder une association dont Biton fut élu chef. A propos de l’origine et de la signification du nom « Biton », les conteurs et généalogistes sont partagés : les uns affirment qu’il est issu de l’exclamation de la mère de Biton (« Bi ton yen na ») ; tandis que les autres soutiennent qu’il provient du nom de ladite association (« Bi ton » : l’association d’aujourd’hui). Toujours est-il que cette association l’emportait sur les autres en popularité ; si bien que tous les jeunes y adhérèrent. C’est alors que Biton eut l’idée de transformer le « ton » en armée. Du coup, ses membres devinrent des sujets, grâce au pacte de sang, un serment de fidélité « éternelle » à l’association qu’ils étaient  tenus de signer avant d’y adhérer.

Selon l’historienne Maryse Condé, ce système visait surtout,  pour Biton, a avoir droit de vie et de mort sur les membres de l’association. Biton racheta ainsi les criminels de guerre en remboursant leurs amendes, seule condition de leur liberté. Il libéra aussi les contribuables insolvables qui n’on pas pu s’acquitter de leurs impôts. Tous devinrent  ainsi ses esclaves ; et ceux qui étaient vieux mirent un de leurs fils à la disposition du nouveau souverain. Ainsi assujettis à leur  maître, privés de toute liberté individuelle, ces recrues formèrent la garde impériale, c’est-à-dire les « Ton djon » (esclaves de l’association), donc du roi ; mais aussi une véritable armée permanente, grâce aussi au nombre de plus en plus croissant des engagements volontaires.  La première arme d’assise du royaume et du pouvoir de son souverain est ainsi née : les Tondjons.

Des conquêtes de Biton

Mamary Biton Coulibaly réorganisa son armée et forma une flottille de transport commercial et militaire placée sous les ordres des Somonos du fleuve Niger, et dont les navires étaient construits par des esclaves fournis par Biton lui-même. Il agrandit Ségou devenu  un port commercial et fit venir des architectes de Djenné pour ériger un palais  dont les ruines furent découvertes plus tard par l’explorateur Mage en 1864.

Biton attaqua tous ses voisins et tous les villages environnants. Il  imposa son autorité sur la rive droite du Niger. Après avoir chassé les Coulibaly Massassi qui  reniaient son autorité, il réprima la révolte des Soninkés et étendit son rayon d’action vers l’Est, sur les rives du Bani (affluent du Niger), jusqu’aux faubourgs de Djenné. Franchissant le Niger, Biton annexa les pays compris entre le fleuve et le Kaniaga, battit les chefs Konya Massa et Sama du Bélédougou et s’empara des provinces de Sansanding et de Karadougou, sur les rives mêmes du fleuve. Il poussa plus loin, attaqua les Massassi à Sountian (près de Mourdia) et tua leur chef, Foulikoro. Il ne tarda pas à conquérir tout le Bagono, imposant sa souveraineté au royaume peuhl du Macina, jusqu’à Tombouctou.

A cette époque, l’empereur du Mandé, Massa Makan Keïta, était le suzerain nominal de Ségou : en effet, ce fief était une de ses concessions. Aussi, s’inquiétant de l’ascension de Biton, Massa Makan assiégea  la ville de Ségou. Mais non seulement il ne parvint pas à ses fins, mais vaincu par Biton, il fut contraint de reconnaître Niamina comme limite de son empire. Les échos de la puissance de Biton allèrent désormais au-delà des frontières de son royaume.

Au cous d’une expédition dans le Sousse (région marocaine) vers 1670, le premier sultan de Fez, El Rachid, mit le siège devant la « zaouïa » (campement) du religieux Ben Ali Haïdara qui  dut s’enfuir du Maroc pour se mettre sous la protection de Biton. Ce dernier refusa alors de livrer le fugitif (qu’il considéra désormais comme son hôte) à El Rachid  venu le réclamer. Mais le sultan de Fez dut abandonner la partie, car il  ne se sentit pas de taille à affronter le monarque de Ségou.  Il semble donc que l’exode et l’arrivée des Haïdara du Maroc au Mali  datent de cette époque, du moins selon les estimations les plus courantes.

La splendeur de Ségou

Biton partagea ses Etats en 60 districts et en confia le  commandement à ses meilleurs Tondions. Il persécuta tous ceux qui n’appartenaient pas au même clan que lui, notamment les Traoré, les Diarra et certains Coulibaly des branches aînées  dits Massassi ou Mansa-si, c’est-à-dire ceux de la lignée royale. En effet, les Coulibaly Mansa-si formaient la branche aînée des Coulibaly qui avaient conquis le Kaarta, second royaume bambara rival de Ségou…

Biton s’en prit ensuite aux « Marakadougou-koronto », un terme qui, chez les « mandingophones », désignait l’autorité des 9 métropoles soninkés. Alors, ces 9 métropoles privèrent Ségou de colas, tissus, sel et autres denrées importantes : une sorte d’embargo économique contre Ségou. C’est  alors que les oncles de Biton lui ordonnèrent de cesser ses attaques contre les Marakas, sous peine de privations et de famine dans le royaume. Aux dires de Karounga Diawara, un vieux conteur de Mourdia, c’est de cette époque que date la confraternité entre les Coulibaly et les Marakas. Et depuis ce pacte et cette période houleuse dus aux intentions belliqueuses de Biton, le royaume connut une relative splendeur et devint le rendez-vous de tous les marchands de la région, et surtout le phare de l’Afrique de l’Ouest.

L’après Mamary Biton Coulibaly

Lorsque Biton mourut (de tétanos, selon une version très répandue), le royaume s’étendait de Macina à Niamina, du Bani au Bélédougou. Son fils aîné, Dèkoro Coulibaly, proclamé roi  à Sébougou (la résidence habituelle),  fonda Sékoura, près du Ségou actuel. Monarque cruel, Dèkoro ne régna pas longtemps : les chefs Tondions la massacrèrent, ainsi que la plupart de ses enfants, et élurent Ali, un autre fils de Biton qui doit son nom  au protégé de son père, Ben Ali Haïdara.  Mais du vivant de son frère aîné, Dèkoro, le jeune Ali s’était converti  à l’Islam lors d’un séjour à Tombouctou. Et l’Islam était détesté par les Tondjons, du fait qu’il interdit l’usage des boissons fermentées.

Mettant à profit le mécontentement des Tondjons et celui des populations, un esclave de Biton, Nioulangolo Diarra, fomenta un coup et assassina Ali. Puis  il fit prêter un serment d’allégeance aux Tondjons,  élimina ses rivaux et fonda une nouvelle dynastie qui étendit son empire sur les pays voisins. Ainsi prit fin le règne de Mamary Biton Coulibaly et de ses héritiers.

Rassemblées par Oumar Diawara « Le Viator »